29 - FuiteAramis rejoignait la tente où s’était
installé le capitaine quand elle aperçut
Hélène soignant des blessés. Elle
avait peine à reconnaître la bourgeoise coquette
qu’elle avait rencontrée au bal de madame Posson
dans cette belle femme vêtue si simplement, qui pansait avec
douceur les plaies des malheureux. Quand la jeune veuve se jeta dans
ses bras, elle lut dans ses beaux yeux verts une paix profonde.
Hélène était bien plus heureuse
à prodiguer des soins à ces hommes meurtris
qu’à papillonner dans les salons.
- Que faites-vous ici ?
- Barjac a considéré que le lieu où je
serais le plus à l’abri était au milieu
des troupes royales. Plutôt que de rester bêtement
à attendre comme je l’ai toujours fait,
j’ai essayé de me rendre un peu utile.
- Un peu utile ? Je ne suis là que depuis deux
minutes, et je peux remarquer que pour tous ces hommes, vous
êtes la lumière qui éclaire ce sinistre
champ de bataille.
Hélène rougissait alors que le capitaine sortait
de sa tente.
- Venez, Aramis ! ordonna-t-il.
- Aramis, le lieu ne s’y prête pas mais
j’ai encore reçu une lettre de votre
père et je ne peux guère attendre avant de vous
la remettre.
Le capitaine lui tendit une enveloppe sur laquelle la main de son
père avait tracé « Pour
Renée ». Quand elle la vit, ses mains se
mirent à trembler et elle déchira
frénétiquement l’enveloppe.
« Mon enfant,
« Si vous lisez cette lettre, c’est que
mon instinct ne m’avait pas trompé. Depuis des
années, je suis intimement persuadé que monsieur
de Tréville est en contact avec vous comme il
l’est avec moi. Vous n’auriez jamais pu trouver le
repos sans savoir si le meurtrier de François avait
été châtié et
Tréville était le seul à pouvoir vous
en informer.
« Je m’étais pourtant
juré de ne jamais vous écrire, non pas que je
vous en veuille le moins du monde, mais depuis six ans, j’en
suis devenu indigne. Je ne pourrai jamais me pardonner de vous avoir
traitée comme une vulgaire marchandise et de vous avoir
acculée à la fuite. Ma punition doit
être de ne plus jamais vous revoir ni même de
savoir où vous êtes. J’ai
douté de vous et pour cela je dois vivre dans cette
torturante incertitude. Je ne suis même pas digne de vous
demander pardon… Mais au crépuscule de ma vie,
l’âge et la maladie ont raison de ma
volonté. Je ne peux me résoudre à
quitter ce monde sans au moins vous avoir dit à quel point
je regrette ce que j’ai fait.
« Je sais que vous avez toujours
été digne du nom que vous portez et quoi que vous
ayez fait toutes ces années, je suis sûr que je
n’en aurais jamais eu à rougir.
« Je vous aime.
« Soyez heureuse, mon enfant.
« Votre père,
« Renaud d’Herblay »
- Qu’a-t-il donc ? balbutia-t-elle en levant ses
yeux brillants vers le capitaine.
- Je ne sais pas trop… Je crois que c’est son
âme qui n’a plus la force de continuer à
vivre.
Aramis fixa à nouveau la lettre.
L’écriture était vacillante…
une larme coula le long de sa joue. Elle resta un long moment
silencieuse. Tréville sentait confusément
qu’une terrible lutte interne était en train de se
jouer dans l’âme de la jeune femme. Puis, il la vit
retirer lentement sa casaque.
- Je vous demande de me relever de ma charge de mousquetaire, capitaine.
Tréville tressaillit, stupéfait. Cette femme qui
avait défendu sa place dans la compagnie avec une
opiniâtreté virant à
l’entêtement, lui demandait de quitter les
mousquetaires définitivement. Il était vraiment
attaché à cette femme obstinée et
courageuse. S’il espérait depuis longtemps la voir
renoncer à cette vie de combats, ce
n’était pas parce qu’il risquait une
sévère disgrâce si elle
était découverte. Elle méritait cette
casaque plus que bien des mousquetaires mais il souffrait de la voir
s’enfermer dans une vie tellement stérile pour une
femme encore si jeune et si belle. Il devinait les efforts constants
qu’elle devait fournir pour que personne ne
soupçonne son secret. Elle ne pouvait pas vivre
éternellement dans le mensonge et il sentait bien que cela
lui pesait de plus en plus. Pourtant, ce revirement le mettait mal
à l’aise. Il pressentait que quelque chose lui
échappait, mais quoi ?
- Ne voudriez-vous pas plutôt prendre des vacances ?
- Je ne crois pas que j’en reviendrai.
Sa voix était neutre et son visage fermé semblait
perdu dans d’obscures pensées.
- S’est-il passé quelque chose ces
dernières semaines ?
- A part cette stupide et inutile mission, il ne s’est rien
passé, répliqua-t-elle froidement. Je ne souhaite
simplement plus continuer cette vie et je croyais que vous seriez
soulagé de me voir partir.
- Je serai soulagé de vous voir heureuse, petite
sotte ! s’écria Tréville.
Partez si vous le désirez mais sachez que je n’ai
jamais regretté de vous avoir acceptée sous mes
ordres. Vous êtes un des meilleurs combattants du royaume et
j’ai été honoré de vous
compter parmi mes hommes. Si je ne peux pas vous retenir, je veux que
vous sachiez que vous aurez toujours votre place dans la compagnie.
Il savait que quand elle avait pris une décision, il
était vain de tenter de l’en dissuader mais il
voulait lui laisser la possibilité de revenir.
- Je vous remercie pour tout, capitaine. Pardonnez-moi de
m’être montrée ingrate. Je sais tout ce
que je vous dois mais il me faut retrouver mon père.
Elle le salua et se dirigea vers la sortie de la tente.
- Je n’ai pas le temps de faire mes adieux à mes
camarades. Pourriez-vous leur dire que j’ai
été heureuse et fière de combattre
à leur côté…
Sa voix se brisa un instant et elle ajouta en détournant le
regard :
- Et que je les aime…
Elle rabattit la toile de tente derrière elle laissant le
capitaine profondément perplexe.
Elle harnachait son cheval quand Hélène vint la
rejoindre, délaissant quelques instants ses
blessés.
- Que vous voulait le capitaine ?
- Il m’a informée que mon père
était très mal en point, je vais partir le
rejoindre.
Hélène remarqua aussitôt
qu’Aramis évitait soigneusement son regard.
- Serez-vous partie longtemps ?
- Je quitte la compagnie des mousquetaires. Je ne reviendrai pas
à Paris.
La jeune femme continuait à lui tourner le dos.
Hélène agrippa son bras.
- Pourquoi ?
- Je vous souhaite d’être heureuse,
Hélène. Vous le méritez et vous
êtes libre à présent de choisir la vie
que vous désirez… Quant à moi, je dois
poursuivre ma route ailleurs.
Se dégageant de la main
d’Hélène, elle sauta sur son cheval.
- Que s’est-il passé ? insista la jeune
veuve.
Aramis tourna alors ses yeux vers elle. Ils semblaient noyés
dans un gouffre de chagrin.
- Vous aviez raison, Hélène…
murmura-t-elle en éperonnant son cheval.
- Que voulez-vous dire ?... Aramis !
La cavalière avait déjà disparu
à travers les tentes. Hélène resta
figée… ces yeux… et cette
phrase… Il ne s’agissait pas que de son
père, Aramis s’enfuyait… Soudain, elle
comprit.
Bouillonnante de rage, elle se mit à traverser le camp. |
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1 - Une proposition du capitaine 2 - La maîtresse d'Athos 3 - Corps de femme 4 - Imbroglio 5 - Blessures 6 - Lettres volées 7 - Confidences 8 - Aux portes d’Orléans 9 - Un fantôme du passé 10 - En Gascogne 11 - Contre-attaque 12 - A la lueur des flammes 13 - Retour à Paris 14 - Déplaisante mission 15 - Une raison de vivre 16 - Humiliations 17 - Préparation 18 - Bal à Toulouse 19 - L’histoire d’Olivier 20 - Un mur tombe 21 - La marquise de Coulanges 22 - Courtisans dans la forêt de Mauressac 23 - Partie de chasse 24 - Poison 25 - Sécession 26 - Au parlement de Toulouse 27 - Captifs 28 - Déroute 29 - Fuite 30 - Aveuglement 31 - Retour à la maison 32 - A bride abattue 33 - Sur la tombe
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