28 - Déroute Le matin qui suit une nuit passionnée semble bien souvent
morne et terne, comme si la lumière du jour ternissait
l’éclat de la nuit. Le jour qui suivit cette nuit
d’amour ne fit pas exception. Athos
s’éveilla sur une couche vide et froide. La
fièvre de la nuit retombée, cette cellule avait
retrouvé ses murs gris et sales. Il chercha du regard la
jeune femme qu’il aurait encore voulu étreindre.
Très droite, Aramis était habillée et
lui tournait le dos, fixant le ciel à travers la petite
lucarne. Il n’aurait pas été nu, Athos
aurait douté de la réalité de la nuit.
- Vous devriez vous rhabiller, nos geôliers ne devraient pas
tarder à revenir, dit-elle sans se retourner.
Son ton sévère, ses paroles sèches,
son attitude raide, son visage obstinément
tourné, tout en elle était glaçant. Il
se sentait si ridicule, nu sur ce grabat grossier.
Où était la femme ardente qui
s’était donnée à
lui ? Il ne reconnaissait pas Aramis dans cette statue qui se
tenait devant lui, il ne voyait ni la femme ni le compagnon
d’armes. Elle n’était plus
qu’une statue de marbre rigide et froide.
Elle devait le détester à présent pour
avoir profité de sa faiblesse et de son
désespoir. Peut-être aurait-il pu aller lui
parler, lui avouer les sentiments, mais l’attitude
d’Aramis le blessait trop. Les mots d’amour
moururent dans sa bouche tandis que son cœur pleurait dans sa
poitrine. La passion et l’union parfaite qu’il
avait cru partager n’avaient été
qu’une illusion de son cœur amoureux. Sans un mot,
il se rhabilla tristement.
Il essaya de se concentrer sur le tumulte venait du dehors.
- Ils lèvent le camp, dit Aramis avec cette voix
d’automate qu’il ne lui connaissait pas.
Dans une ambiance pesante, ils écoutèrent les
bruits des soldats qui criaient, des chevaux qui hennissaient. Puis le
silence se fit… Se pouvait-il qu’on les ait
oubliés ?
La porte s’ouvrit violemment sur le visage dément
d’Anne de Coulanges. Elle était presque
méconnaissable tant la haine et la fureur
déformaient ses traits. Il n’y avait plus aucune
beauté en elle. Elle semblait être une apparition
de la légendaire gorgone aux cheveux de serpents et au
regard pétrifiant ceux qui le croisaient.
Stupéfaits par cette métamorphose, les deux
mousquetaires mirent quelques instants à remarquer le
pistolet qu’elle tenait dans sa main.
- Vous pouvez vous réjouir ! cracha-t-elle. Vous
avez gagné ! Carcassonne abandonne le
duc ! Toutes les villes fortifiées nous ferment
leurs portes ! Vos alliés sont devant Castelnaudary
et les marauds que nous payons à prix d’or nous
abandonnent les uns après les autres ! Gaston
d’Orléans s’est enfui en
Espagne ! Vous avez gagné ! Mais vous ne
profiterez pas de cette victoire !
Anne avait sombré dans la folie. Elle avait tout perdu.
Gaston l’avait abandonnée ! Il
était parti seul sachant le sort qui
l’attendait ! La réclusion ou
l’échafaud ! Elle pouvait
s’enfuir mais où aurait-elle pu aller ?
Elle était une renégate. Elle avait perdu titre
et fortune. Elle connaissait trop le destin qui attendait une femme
seule sans protection, noblesse ou argent. Non, elle ne finirait pas en
vieille prostituée flétrie et
humiliée ! Elle ne finirait pas dans un
bordel ! Elle mourrait dans une robe de soie en
entraînant avec elle cet homme qu’elle
haïssait. Il paierait pour ce qu’il lui avait
fait… et pour tous les autres également.
- Anne, vous ne savez pas vous servir de cette arme,
répondit calmement Athos. Arrêtez et vous vous en
sortirez !
- M’en sortir ! Vous êtes un
imbécile, Olivier ! Vous avez toujours
été un imbécile ! Vous
n’avez jamais rien compris !
Ses mains tremblaient de fureur. Athos se jeta sur elle pour lui
arracher le pistolet. La haine décuplait les forces
d’Anne mais elle n’aurait pas pu
résister longtemps au mousquetaire. Elle dut le comprendre
car je ne pense pas que ce fut par hasard qu’un coup partit
soudainement l’atteignant au cœur.
Choqués, Athos et Aramis restèrent un moment
immobiles devant le corps de cette femme intelligente et
démoniaque.
- Athos ! Aramis !
Les voix de Porthos et D’Artagnan résonnaient sur
le camp vidé par l’armée de
Montmorency. Les deux mousquetaires coururent hors de la prison
rejoindre leurs amis.
- Que faites-vous ici ? demanda Athos.
- Quand nous avons trouvé votre épée
jetée devant le bâtiment du Parlement alors
qu’Aramis et vous aviez disparu, nous nous sommes
doutés que vous aviez été faits
prisonniers, répondit D’Artagnan. Nous avons donc
observé à distance l’armée
de Montmorency en attendant un moment propice pour vous
libérer... Nous n’avons d’ailleurs rien
eu à faire. Gaston d’Orléans a pris la
fuite, l’armée du duc
s’étiole et nos troupes les attendent devant la
ville de Castelnaudary.
- Cela, nous le savons, répondit Aramis.
D’une voix calme, elle leur raconta les
événements des derniers jours…
à l’exception de la nuit passée.
- Il ne nous reste plus qu’à rejoindre notre
armée, déclara Athos.
- Nous avons ramené vos chevaux et vos casaques,
annonça Porthos.
- Je ne pense pas que dans la cohue du combat, quiconque
reconnaîtrait la comtesse de La Fère dans un
mousquetaire, ajouta D’Artagnan en tendant sa casaque
à Aramis.
- Je vous remercie, dit-elle visiblement émue.
Pour la première fois depuis le lever du jour, une
émotion venait illuminer ses traits alors que leurs quatre
épées se croisaient au son de la devise
symbolisant leur amitié.
Elle allait monter en selle quand Athos l’arrêta
timidement. Leurs amis étaient un peu plus loin et ne
pouvaient les entendre.
- Je suis vraiment désolé pour ce qui
s’est passé cette nuit, lui murmura-t-il. Vous
êtes mon amie et je ne voudrais pas…
Le visage d’Aramis se tendit… Ce souvenir lui
était-il donc si déplaisant ?
- Ne craignez rien Athos, tout est oublié,
répliqua-t-elle d’une voix neutre. Venez, il faut
nous presser.
Moi, je ne l’oublierai jamais, songea Athos en la regardant
s’installer sur son cheval. Même dans une
geôle sordide, cette nuit a été la plus
bouleversante de ma vie. Tant pis si pour te garder à mes
côtés, je dois taire que tu es le soleil de ma
vie, je conserverai au moins ce souvenir merveilleux.
Quand ils arrivèrent devant Castelnaudary, les combats
venaient de commencer. La lutte était très
inégale. Les troupes royales étaient deux fois
plus nombreuses que celle du duc. Les mousquetaires se
jetèrent dans la bataille mais très vite, Henri
de Montmorency, grièvement blessé, se rendit,
mettant fin aux hostilités.
Les quatre mousquetaires allaient escorter le duc à
moitié inconscient dans la prison où il serait
soigné en attendant d’être
jugé, quand le capitaine de Tréville qui avait
accompagné les troupes fit appeler Aramis. Laissant ses
compagnons, elle se dirigea vers le campement de
l’armée où il l’attendait. |
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1 - Une proposition du capitaine 2 - La maîtresse d'Athos 3 - Corps de femme 4 - Imbroglio 5 - Blessures 6 - Lettres volées 7 - Confidences 8 - Aux portes d’Orléans 9 - Un fantôme du passé 10 - En Gascogne 11 - Contre-attaque 12 - A la lueur des flammes 13 - Retour à Paris 14 - Déplaisante mission 15 - Une raison de vivre 16 - Humiliations 17 - Préparation 18 - Bal à Toulouse 19 - L’histoire d’Olivier 20 - Un mur tombe 21 - La marquise de Coulanges 22 - Courtisans dans la forêt de Mauressac 23 - Partie de chasse 24 - Poison 25 - Sécession 26 - Au parlement de Toulouse 27 - Captifs 28 - Déroute 29 - Fuite 30 - Aveuglement 31 - Retour à la maison 32 - A bride abattue 33 - Sur la tombe
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