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Coeur de femme

26 - Au parlement de Toulouse

Le parlement de Toulouse se présentait comme un grand amphithéâtre en pierres roses. Les parlementaires étaient assis dans des gradins recouverts de coussins de velours parme. Au-dessus, dans ce qu’on appelait le poulailler, une foule de badauds assistait à la séance où les notables allaient décider de soutenir ou non la sécession du Languedoc contre l’autorité royale.
Dissimulée parmi la foule, Aramis observait ses compagnons. Elle ne pouvait pas remettre sa casaque mais elle ne mettrait pas les robes de la comtesse de La Fère. Son rôle était terminé et si elle ne pouvait pas encore redevenir un mousquetaire, elle ne porterait plus ces stupides vêtements de femme. Ses seins avaient disparu sous l’épaisseur du pourpoint, ses jambes s’étaient libérées des jupons. Elle avait enfoncé son large chapeau de feutre sur sa tête, masquant ainsi une partie de son visage et y avait dissimulé sa chevelure dorée qui attirait immanquablement l’attention sur elle. Précaution inutile tant l’attention se concentrait sur les trois mousquetaires qui se tenaient au centre de l’hémicycle… sur le plus âgé des trois surtout.
Même après tant d’années à ses côtés, Aramis était impressionnée par la prestance charismatique d’Athos. L’assemblée toute entière avait les yeux rivés sur lui et l’oreille pendue à ses lèvres. Imperturbable, il exposait aux Toulousains les risques qu’ils faisaient encourir tant à leur ville qu’à la France en s’alliant à Montmorency. Sans se laisser impressionner par l’hostilité des partisans du duc, il présentait la ruine que provoqueraient un siège et des combats pour Toulouse. Habilement, il faisait appel tant à leur bon sens qu’à leur fidélité à l’égard du roi. Il répondait adroitement aux interrogations et aux objections sans sourciller. Son calme et son intelligence étaient vraiment hors du commun. Il était un des rares hommes qui pouvait faire baisser les yeux d’Aramis. Même quand il s’adressait au roi ou au Cardinal, il ne se laissait jamais démonter… Elle était certaine qu’Athos convaincrait les Toulousains.
Tout un coup, il lui sembla apercevoir un reflet brillant venant des combles, juste face aux mousquetaires. Elle ne prit pas le temps de réfléchir. Peut-être n’était-ce qu’un éclat de verre mais elle devait s’en assurer. Quittant rapidement le poulailler, elle monta en courant dans les galeries surplombantes. Tout paraissait sombre et désert. Elle ouvrit les portes des petites loges qui donnaient sur l’amphithéâtre. Elles étaient trop hautes pour qu’on puisse y écouter les débats parlementaires mais la visibilité était excellente… parfaite pour un tireur embusqué.
Son instinct ne l’avait pas trompée. Poussant violemment une des portes, elle découvrit dans une des loges cinq hommes masqués dont un était accroupi et visait les mousquetaires dans l’hémicycle. Elle sauta sur l’homme qui tenait le mousquet faisant tomber au sol l’arme et son chapeau. S’ils étaient tous armés, elle n’avait aucune chance mais elle devait juste gagner du temps. Il ne restait que quelques minutes avant le vote du parlement et alors ces compagnons seraient hors de portée du tireur. Heureusement, les bandits n’avaient pas pensé être découverts et s’ils avaient des pistolets, ils n’étaient pas chargés. Deux des hommes tirèrent leur épée. Tout en bataillant, elle se tenait dos à l’hémicycle empêchant le tireur de remettre en joue ses amis. Dans cette position, elle combattait difficilement, devant prendre garde à ne pas tomber dans le vide. Assez rapidement, le tireur réussit à placer le canon du mousquet contre sa tempe.
- Vous avez le choix, monsieur, vous sautez ou je tire.
- Cela n’a plus d’importance, c’est fini, répondit-elle en entendant les applaudissements annonçant la clôture des votes.
- Attachez-le, ordonna une voix féminine au fond de la loge.
Alors qu’on l’immobilisait, Aramis vit sortir de l’ombre Anne de Coulanges que dans l’obscurité, elle avait pris pour un des hommes. En bas, les parlementaires annonçaient que la ville de Toulouse resterait fidèle au roi et pourtant la marquise souriait avec un regard fou.
- C’est loin d’être fini, comtesse, lui souffla-t-elle au creux de l’oreille.

Anne de Coulanges avait bien des vices mais la lâcheté n’en faisait pas partie. Elle possédait le courage des personnes cruelles. Elle aurait pu envoyer un de ses hommes annoncer à Olivier de La Fère qu’elle détenait sa femme en otage, mais pour rien au monde, elle n’aurait renoncé au spectacle de la colère et de la détresse de cet homme. La haine qu’elle ressentait à son égard touchait à la démence maintenant qu’il avait obtenu que Toulouse abandonne Montmorency, compromettant ainsi dangereusement ses ambitions. De plus, avec Renée à sa merci, elle détenait une pièce maîtresse et Olivier n’oserait pas s’en prendre à elle.
Avec ces deux compagnons mousquetaires, il recherchait la jeune femme dans le parlement… Elle attendit patiemment que les trois hommes se séparent pour aborder Olivier.
- Avez-vous perdu quelque chose, Olivier ?
Athos se retourna et devant le sourire triomphant d’Anne, il comprit aussitôt qu’Aramis était entre les mains de cette femme. Pendant quelques instants, la panique et la haine envahirent tout son être comme un tourbillon incontrôlable.
- Si tu touches ne serait-ce qu’à un seul de ses cheveux…
- Pas de familiarité, Olivier ! Vous n’êtes pas en position de faire des menaces. Mes hommes tiennent votre chère Renée et si vous tentez quoi que ce soit, elle subira les pires souffrances.
- Que voulez-vous ? demanda-t-il en serrant les poings le long de son corps.
- Ainsi vous êtes devenu mousquetaire, Olivier. Je comprends mieux la musculature que vous avez acquise…
- Où est Renée ?
- Votre femme est surprenante, poursuivit Anne d’un ton badin propre à torturer les nerfs du pauvre Olivier. Elle est arrivée juste à temps pour vous sauver de la balle qui vous était destinée au parlement, vêtue comme un homme avec une épée à la main. Elle se bat comme un spadassin, sait tirer à l’arc et monte des chevaux indomptables, mais où l’avez-vous donc trouvée ?
Aramis… Elle s’était fait prendre en le protégeant…
- Que lui avez-vous fait ?
- Rien pour le moment. Son sort est entre vos mains, monsieur le mousquetaire.
- Qu’attendez-vous de moi ?
- J’attends la même chose depuis douze ans : que vous mouriez.
Une flamme folle s’alluma dans ses yeux.
- Vous avez décidé de toujours tout détruire dans ma vie ! Vous m’avez répudiée ! Vous m’avez retiré mon titre de comtesse pour le donner à cette garce blonde ! Tout ça parce que vous étiez incapable de vous faire tuer correctement ! Et maintenant, vous voulez détruire Montmorency ! Il mettra Gaston d’Orléans sur le trône de France et il m’épousera ! Je serai la femme la plus puissante de France ! Vous n’arriverez pas à l’empêcher ! Et je vais m’arranger pour que vous ne puissiez plus jamais me nuire !
Cette femme n’était pas que démoniaque, elle était totalement démente… et elle tenait Aramis. Quand elle pensait qu’ils étaient des alliés du duc de Montmorency, elle avait déjà essayé de la tuer et maintenant, elle était comme enragée. Elle serait capable de la torturer à mort.
- Libérez Renée et vous ferez ce que vous voudrez de moi.
- Vous allez venir sagement avec moi.
- Libérez-la d’abord.
- Ecoutez-moi bien, Olivier, n’essayez même pas de négocier quoi que ce soit si vous tenez à votre précieuse petite femme. Si vous refusez de me suivre ou que vous vous en prenez à moi, vous n’imaginez même pas ce que nous pourrions lui faire subir. Donc vous allez laisser votre épée et m’accompagner docilement… A moins que le sort de Renée vous indiffère.
- Vous la tuerez de toute façon ! s’écria Athos incapable de contenir sa haine.
- Si vous le prenez ainsi, au revoir Olivier. Pensez à moi quand vous retrouverez le corps de votre femme… enfin s’il en reste quelque chose.
Il était inutile de résister plus longtemps. Il avait beau chercher désespérément une idée pour sauver Aramis des griffes de cette femme, il ne voyait pas d’autre solution que de se soumettre à elle. Cette scélérate allait sûrement les tuer tous les deux mais il ne pouvait abandonner Aramis seule avec elle. Vaincu, il laissa tomber son épée au sol.
- Je vous suis.
S’il ne pouvait pas sauver Aramis, il mourrait avec elle.
  1 - Une proposition du capitaine
2 - La maîtresse d'Athos
3 - Corps de femme
4 - Imbroglio
5 - Blessures
6 - Lettres volées
7 - Confidences
8 - Aux portes d’Orléans
9 - Un fantôme du passé
10 - En Gascogne
11 - Contre-attaque
12 - A la lueur des flammes
13 - Retour à Paris
14 - Déplaisante mission
15 - Une raison de vivre
16 - Humiliations
17 - Préparation
18 - Bal à Toulouse
19 - L’histoire d’Olivier
20 - Un mur tombe
21 - La marquise de Coulanges
22 - Courtisans dans la forêt de Mauressac
23 - Partie de chasse
24 - Poison
25 - Sécession
26 - Au parlement de Toulouse
27 - Captifs
28 - Déroute
29 - Fuite
30 - Aveuglement
31 - Retour à la maison
32 - A bride abattue
33 - Sur la tombe