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Coeur de femme

21 - La marquise de Coulanges

Anne de Coulanges contempla son reflet dans le miroir d’un air satisfait. Même si elle approchait de la trentaine, sa beauté ne pâlissait pas. Comme toujours, elle attirerait tous les regards à la partie de chasse du duc. Sa beauté avait longtemps été sa seule richesse et elle en prenait un soin jaloux. Avec une fierté non dissimulée, elle se disait que tout le reste, titre, richesse et pouvoir, elle ne le devait qu’à elle-même.
Quatrième fille d’un petit aristocrate désargenté qui espérait vainement un héritier mâle, Anne de Breuil avait été plus un ennui pour sa famille. Sa noblesse lui imposait un mariage avec un homme bien né mais elle ne pouvait pas espérer la moindre dot. Dès le berceau, son avenir était tracé, elle deviendrait carmélite dès qu’elle aurait seize ans. Son avare et dévot de père avait choisi pour elle un des ordres les plus austères et rigoureux.
Anne rêvait en regardant les dames richement parées aux robes de soie et aux bijoux scintillants. Les seuls joyaux qu’elle possédait étaient ses yeux d’émeraudes dans un écrin de cils sombres mais rapidement, elle se rendit compte qu’elle attirait le regard des hommes même dans les vieilles robes reprisées de ses sœurs. Elle ne voulait pas se laisser emprisonner dans une robe de bure. Elle était belle et un jour, elle ne porterait plus que de la soie et des dentelles.
A quatorze ans, elle crut trouver celui qui la sauverait. Un jeune baron tomba sous son charme juvénile déjà si sensuel. Il lui fit mille promesses mais dès qu’elle se fut donnée à lui, il l’abandonna. Ce jour-là, Anne de Breuil jura que plus jamais elle n’accepterait la moindre offense de la vie. Plus jamais elle ne laisserait un homme l’abuser. Elle avait été un agneau, elle allait devenir un loup. Elle n’avait que sa beauté et sa sensualité mais si elle apprenait à s’en servir, elle pourrait en faire les plus efficaces des armes. Alors, patiemment, elle commença à apprendre. Elle observa les autres femmes, les riches mais aussi les filles de joie qui attisaient le désir des hommes. Auprès des garçons de ferme, elle aiguisa les armes de sa volupté. Ses parents s’intéressaient si peu à elle que tant qu’elle gardait le masque d’une jeune fille pure et obéissante, ils ne se doutaient de rien.
Très vite, elle apprit comment faire perdre la raison à un homme. Elle prenait l’air tendre et soumis qui faisait croire à tous ces mâles imbéciles qu’elle avait besoin d’eux. Son visage pouvait paraître passionné par les pires inepties qu’ils pouvaient raconter afin de flatter leur orgueil. Ses yeux prenaient des airs langoureux promettant les plus grandes voluptés. Son corps offrait les caresses les plus débridées en donnant à ses amants l’illusion que c’était la passion et non la débauche qui éveillait un tel érotisme. Tous ses amants étaient persuadés qu’elle était éperdument amoureuse et ils se croyaient les hommes les plus chanceux de la terre. Elle fit ses griffes sur les paysans car avec eux, elle ne risquait rien et elle était assez intelligente pour savoir que gueux ou nobles, les hommes avaient les mêmes désirs. Elle s’amusait à les pousser à se battre pour elle.
Mais elle avait de plus hautes ambitions que d’être le fantasme de paysans mal dégrossis. A quinze ans, elle rencontra le comte de La Fère. C’était un très jeune homme, romanesque et timide. Il fut si aisé à conquérir qu’Anne en fut déçue. Elle s’était donné bien du mal pour devenir la femme idéale pour une proie si pitoyable… Au début, elle s’en moqua. Elle était comtesse. Elle était riche. Olivier la couvrait de cadeaux et d’attentions. Il lui accordait tout ce qu’elle désirait : toilettes, bijoux… Il était même plutôt plaisant avec ses yeux d’un bleu sombre et ses traits nobles, même si à l’époque, il n’avait pas l’air ténébreux et la carrure puissante qu’Anne lui avait vus au bal de Montmorency… En souriant, elle songea qu’à présent, elle aurait été bien plus tentée d’en faire son amant.
Rapidement, la vie avec Olivier lui devint insupportable. Son amour stupide l’étouffait… Il n’y avait rien de pire que de vivre avec quelqu’un qui vous adulait pour l’illusion que vous lui donniez de vous-même. Et Anne avait travaillé trop dur pour devenir le rêve de tous les hommes pour se contenter d’un petit comte de province. Elle avait en plus fait la sottise d’épouser un homme jeune. Si elle n’agissait pas, elle en avait pour au minimum vingt ans de vie commune avec lui… Cette idée la rendait folle. Elle devait se débarrasser de lui. Avec application, elle entreprit l’assassinat du comte de La Fère. Elle séduisit le petit palefrenier imbécile qui était le frère de lait d’Olivier. Son mari ne s’en méfierait jamais. Elle parvint à convaincre cet idiot de Charles qu’Olivier était le pire des tyrans, qu’il n’hésitait pas à la frapper et à la forcer à des pratiques contre-natures. Charles n’avait plus qu’un désir, devenir le chevalier servant qui allait la libérer, elle, demoiselle en détresse, du monstre qu’était le comte de La Fère… Mais cet imbécile avait échoué ! Anne ne pouvait y repenser sans enrager. Non seulement ce maudit garçon n’avait pas réussi à tuer Olivier mais en plus, il l’avait perdue ! Il s’en était fallu de peu qu’Olivier la fasse enfermer. Heureusement, elle s’était tellement emparée de son esprit qu’il était prêt à tout pour se libérer le plus vite possible. Elle s’en était tirée avec la moitié de sa fortune.
Mais quelle était la place d’une femme répudiée même fortunée dans ce monde ? Elle avait besoin de la protection d’un homme. Elle devint la plus populaire des courtisanes de Touraine. Elle était riche, mais si les hommes étaient à ses pieds la nuit, le jour, ils se détournaient d’elle honteux et gênés. Ce faible pouvoir sur leurs sens lui sembla amer… Jusqu’au jour où elle eut un amant hors du commun.
Anne trouva en Gaston d’Orléans plus qu’un amant, un complice. Ces deux êtres libertins, ambitieux, tenaces et vaniteux étaient faits pour s’entendre. Anne voulait la respectabilité et le pouvoir, elle comprit tout de suite que son seul moyen d’y parvenir était d’être dans l’ombre du frère du roi. Gaston d’Orléans vit rapidement quel intérêt il pourrait tirer de cette femme impitoyable à la sensualité enivrante. Il effaça les traces de son passé, la maria à l’impotent marquis de Coulanges et, en échange, gagna une merveilleuse alliée. Elle pouvait avoir tous les hommes qu’elle voulait. Elle n’hésitait jamais à user de son charme, que ce soit sur les marauds ou sur les grands seigneurs. Après son échec avec le comte de La Fère, elle avait compris qu’on n’était jamais aussi bien servi que par soi-même et avait appris l’art des poisons. Avec les avoir expérimentés sur son vieillard de marquis, elle n’hésita pas en user pour Gaston. Elle était l’âme damnée de l’héritier du trône… du futur roi de France.
Tout se mettait en marche pour qu’ils accèdent enfin au pouvoir tant convoité. Il l’avait introduite auprès du duc de Montmorency dont elle n’avait fait qu’une bouchée. Elle était devenue la femme la plus puissante du Languedoc et avait offert au jeune prince un puissant allié contre son frère… Bientôt, ils seraient les êtres les plus puissants de France.
Il fallait toutefois qu’elle assure son pouvoir sur Montmorency. Aujourd’hui, il était fou d’elle mais elle ne rajeunissait pas et une vieille maîtresse valait à peine mieux qu’une vieille catin. Malgré son aversion pour le mariage, elle savait que c’était le seul moyen d’asseoir définitivement sa position. Devenir duchesse de Montmorency… Il serait toujours temps de se débarrasser du duc. Mais tout épris qu’il soit, Henri de Montmorency croyait aux sacrements du mariage et ne répudierait pas sa femme sans une bonne raison. Avec dégoût, Anne se disait que seul un enfant pourrait la conduire à l’autel… Seulement pouvait-elle encore en avoir ? Durant ses années de galanterie, elle avait appris à se défaire de nombreux de ces « cadeaux du ciel ». A l’époque, une grossesse aurait signifié sa déchéance. Mais n’avait-elle pas trop bien fait son travail ? Son corps n’était-il pas devenu incapable de porter la vie ? Ce serait trop bête !

- Madame, Monseigneur le duc d’Orléans vient d’arriver, lui dit un valet l’arrachant à ses pensées.
- J’arrive.
Gaston les avait rejoints plus tôt que prévu. Il assisterait donc à la partie de chasse de lundi… Devait-elle lui parler du comte de La Fère ? Anne haussa les épaules. Ils avaient d’autres priorités. Olivier ne pouvait rien contre elle et il l’avait bien compris. Pourtant, il lui déplaisait de le savoir autour d’eux alors qu’ils jouaient leur avenir… Surtout qu’il paradait avec cette grande blonde au regard altier. Il était à elle et aurait dû passer sa vie à la regretter. Si Anne n’avait jamais eu le moindre sentiment pour son ancien époux, elle était vaniteuse et vindicative et l’idée qu’il puisse aimer une autre femme était un affront personnel.
Elle n’était pas femme à laisser passer le moindre affront surtout qu’Olivier avait déjà eu le mauvais goût de ne pas mourir quand elle le désirait. Un mince sourire se dessina sur le visage superbe et implacable d’Anne de Coulanges. Si Olivier de La Fère croyait qu’il pourrait exhiber sous ses yeux son nouveau bonheur, il allait s’en mordre les doigts amèrement.
  1 - Une proposition du capitaine
2 - La maîtresse d'Athos
3 - Corps de femme
4 - Imbroglio
5 - Blessures
6 - Lettres volées
7 - Confidences
8 - Aux portes d’Orléans
9 - Un fantôme du passé
10 - En Gascogne
11 - Contre-attaque
12 - A la lueur des flammes
13 - Retour à Paris
14 - Déplaisante mission
15 - Une raison de vivre
16 - Humiliations
17 - Préparation
18 - Bal à Toulouse
19 - L’histoire d’Olivier
20 - Un mur tombe
21 - La marquise de Coulanges
22 - Courtisans dans la forêt de Mauressac
23 - Partie de chasse
24 - Poison
25 - Sécession
26 - Au parlement de Toulouse
27 - Captifs
28 - Déroute
29 - Fuite
30 - Aveuglement
31 - Retour à la maison
32 - A bride abattue
33 - Sur la tombe