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Coeur de femme

12 - A la lueur des flammes

Quelques heures plus tard, les quatre mousquetaires repartirent pour Paris.
Athos et Porthos avaient réussis à mettre les hommes restant dans la cour hors d’état de nuire. Seul un des fermiers généraux avait survécu à l’assaut et était ligoté à un cheval que D’Artagnan avait attaché à Rossinante. Il était prêt à leur livrer le nom de tous les fermiers qui s’étaient laissé corrompre en échange de la grâce royale. Malheureusement, l’argent détourné avait déjà été emmené par les hommes armés à Toulouse.
La nuit tombant, ils décidèrent de s’arrêter dans une clairière isolée en pleine forêt et de dormir à tour de rôle.
- Porthos et moi feront la première partie de la nuit et Athos et Aramis, vous finirez, déclara D’Artagnan.
Il avait bien remarqué que si Porthos n’avait guère changé son comportement à l’égard de la jeune femme, tout au plus était-il légèrement plus protecteur, Athos évitait de s’adresser à elle et même de la regarder. Quand elle posait une question, il répondait à un autre de ces compagnons. Se retrouver seuls face à face ne pouvait leur faire que du bien.

Quelques heures plus tard, Athos fixait les flammes du feu de camp qui dansaient sous ses yeux. Elles lui semblaient refléter les flammes de colère qui brûlaient dans son âme.
Elle était à ses côtés et le regardait intensément… Elle ?… Comment pouvait-il appeler cette créature ?… Quand il avait su la vérité, un gouffre de noirceur s’était ouvert devant lui et son meilleur ami s’était transformé en un démon. Il bouillonnait… Une femme ! Et de la pire espèce ! Il y avait pour Athos deux types de femmes : les filles d’Eve, des pécheresses dont la faiblesse excusait les errements et les filles de Lilith, véritables diablesses envoyées sur terre pour semer le malheur et la désolation. Et cette Renée appartenait à la deuxième catégorie comme Milady… ou Anne.
Comme elle s’était moquée d’eux ! Comme elle avait dû rire de leur aveuglement et de leur bêtise !... Lui dont tous les mousquetaires admiraient la perspicacité et le sens de l’observation avait été incapable de voir la femme dans ce mousquetaire au visage délicat. Elle avait fait de lui un imbécile ! Quand il y pensait, la rage grondait dans son âme. Comme il s’était interrogé sur sa pudeur excessive et son désintérêt pour les femmes ! Seule une sorcière aurait pu obscurcir son jugement comme cette Renée l’avait fait. Aucune femme ne pouvait être aussi habile à l’épée sans faire appel à des maléfices.
Il avait écouté le récit qu’elle avait fait à Porthos mais si les mots avaient atteint son esprit, ils n’avaient pas touché son cœur. Elle n’était que mensonge et perfidie. Tout en elle était faux : l’amitié, le courage, l’honneur… Comme il la haïssait !
Il souffrait profondément et enfouissait cette souffrance sous des torrents de haine… Aramis… Même s’il connaissait Porthos depuis plus longtemps, Athos avait vu dans le jeune mousquetaire aux yeux tristes un frère de cœur. Il avait l’impression qu’ils pouvaient se comprendre sans dire un mot. Quand ils combattaient ensemble, il lui semblait qu’Aramis était une partie de son propre corps tant leurs gestes s’harmonisaient parfaitement. Réfléchis, vifs, posés et observateurs, ils se ressemblaient tant. Aramis possédait en plus une fougue qui lui faisait défaut. Même s’il jouait souvent le rôle de grand frère pacificateur entre Aramis et Porthos, il adorait les voir se chamailler continuellement. L’humour et la gaieté du mousquetaire lui apportaient une bouffée d’oxygène dans leur vie de combats. Il aimait voir passer les émotions les plus diverses dans ses grands yeux clairs. Peu de personnes avaient des yeux aussi vivants qu’Aramis, ils pouvaient exprimer la colère la plus violente comme la plus douce des tendresses… Athos se serait volontiers fait couper les deux bras pour son ami. Il lui avait accordé la confiance la plus absolue. Même dans l’affaire du Masque de fer quand tous avaient cru à sa trahison, il avait été le seul à continuer à croire en lui… Se pouvait-il qu’Aramis n’ait été que l’imposture d’une femme perverse ?
Pour Athos, Aramis et Renée étaient deux personnes bien distinctes. D’un côté, il y avait son ami, son compagnon d’armes, de l’autre une femme menteuse et malfaisante. Si aujourd’hui son compagnon avait disparu remplacé par cette créature inconnue qu’était Renée, il ne pouvait balayer six années d’entente parfaite. Alors il haïssait de toute son âme la femme qui l’avait privé de cette amitié… C’était la seconde fois qu’une femme lui arrachait son meilleur ami.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis le début de leur tour de garde et le mutisme d’Athos devenait de plus en plus insupportable. Aramis pouvait répondre aux injures ou à la violence mais ce mur d’indifférence qui lui faisait face était autrement plus déstabilisant.
- Athos, murmura-t-elle d’une voix tremblante.
Il ne détachait pas les yeux des flammes. Rien qu’entendre sa voix lui était insupportable… Cet imbécile de D’Artagnan qui leur avait imposé cette garde ! Il aurait dû refuser mais il avait bêtement voulu paraître totalement détaché.
- Parlez-moi, Athos…
Qu’elle se taise, sang dieu ! C’était Renée qui lui parlait mais c’était la voix d’Aramis qu’il entendait…
- Insultez-moi si vous voulez, mais répondez ! s’écria-t-elle excédée.
Elle lui attrapa vigoureusement le bras pour le forcer à la regarder enfin. Il ne voulait pas voir son visage. Il ne voulait pas reconnaître les traits d’Aramis sur le visage de cette femme. Il détestait Renée mais il n’arrivait à voir que son ami. Qu’elle s’éloigne de lui ! Qu’elle le laisse enfin !
Il se dégagea et se levant, il lui tourna le dos.
- Je n’ai rien à vous dire, Renée.
- Ne m’appelez pas ainsi ! Renée n’existe plus depuis longtemps !
- Pour moi, c’est Aramis qui n’existe plus… si tant est qu’il n’ait jamais existé.
Elle se figea un court instant. Athos avait bien calculé le coup pour que ces mots la blessent profondément… Même sur une joute verbale, il était le plus terrible adversaire qu’elle puisse imaginer. Mais il en fallait bien plus pour la désarçonner. Il voulait se battre, très bien ! Il verrait que même dans ce type de combat, sa volonté était inébranlable. Elle se planta devant lui.
- Regardez-moi, Athos ! Qu’y a-t-il de changé en moi depuis hier ? Mon visage est-il différent ? Mon regard n’est-il pas le même ? Ma voix n’est-elle pas la même ? Mes bras ne sont-ils pas ceux qui ont combattus à vos côtés ? Mes mains ne sont-elles pas les mêmes que celles qui vous ont tant de fois protégées ? Que voyez-vous devant vous, Athos ? Je suis Aramis. Je suis la même personne qui a été à vos côtés toutes ces années.
Athos avait beau se détourner, elle le suivait, s’imposant à son regard… Pourquoi ne voyait-il que son ami devant lui ? Opiniâtrement, il cherchait Renée dans la vision qu’Aramis lui imposait. Il y avait une femme en face de lui. Sous cet uniforme, se dissimulait un corps de femme. Pourquoi la créature qui lui faisait face lui semblait-elle si familière ?
- Et toutes ces années, vous m’avez menti ! s’écria-t-il. Comment peut-on être aussi hypocrite et fourbe ? Retirez le masque de l’amitié de votre visage !
- Oui, je vous ai menti ! cria-t-elle. Mais bon sang, c’était ma vie ! Je ne vous ai pas menti sur ma loyauté ! Je ne vous ai jamais fait défaut ! Doit-on forcément tout se dire ? Ne nous avez-vous jamais rien caché peut-être ? Oui, je suis une femme mais je suis avant tout un mousquetaire !
Devant son sourire méprisant, elle haussa un peu plus la voix :
- Aurez-vous le front de dire que je suis un mauvais mousquetaire ? Foutre dieu, la seule chose que vous pouvez me reprocher concerne le contenu de mon pantalon ! Ne voyez-vous pas que ce n’est qu’un détail ?
Elle était volontairement vulgaire. Elle voulait lui montrer qu’elle était un soldat et non une jeune fille bien élevée.
- Si vous étiez un homme, vous sauriez que cela n’a rien d’un détail ! répliqua-t-il en ricanant.
- Osez me dire que ce n’est pas Aramis qui est face à vous ! Osez le dire en me regardant !
Elle plongeait ses yeux dans les siens. Il y lisait la volonté inébranlable qu’il avait vue en Aramis dès le premier jour… Son regard descendit sur ses lèvres rosées… Elle était une femme. Il saurait bien le lui prouver… Sa bouche s’écrasa sur celle de la jeune femme.
Elle fut tellement surprise qu’elle mit quelques instants à réagir… et un poing violent s’abattit sur la joue d’Athos le jetant à terre.
Le visage d’Aramis était rouge de rage et ses yeux flamboyaient de colère. A la lueur des flammes, son expression était véritablement terrifiante. Ce n’était pas celle d’une femme offensée, c’était la fureur d’Aramis. La fureur d’un mousquetaire capable de faire trembler tout un régiment. Pendant un instant, Athos crut qu’elle allait le foudroyer sur place.
- Comment avez-vous osé ? balbutia-t-elle les lèvres tremblantes.
Elle mit la main sur son épée comme si elle hésitait à le provoquer en duel, puis tourna violemment des talons et sauta sur son cheval.
- Où allez-vous ? cria-t-il.
- Je ne suis qu’une femme, Athos ! Je suis incapable de faire un tour de garde correctement ! répondit-elle en disparaissant dans la nuit.
Malgré sa colère et la douleur cuisante dans sa joue, Athos devait bien reconnaître qu’il avait mérité son courroux. Ce baiser avait été déloyal… Si au moins elle lui avait plu, il aurait eu une excuse mais il n’avait aucun goût pour les blondes à la peau laiteuse. Il avait juste voulu trouver la femme derrière le masque d’Aramis et elle l’avait frappé comme un homme. Il avait cherché la sensualité de Renée et il avait trouvé la colère d’Aramis… Pourquoi n’arrivait-il pas à briser ce masque ?
Pourtant si c’était le poing d’un mousquetaire qui l’avait mis à terre, c’étaient bien les lèvres tendres d’une femme qu’il avait caressées furtivement.

Elle galopait à bride abattue. Le vent glacial qui fouettait ses joues était impuissant à éteindre les flammes de colère que le baiser d’Athos avait allumées en elle… Si elle était restée ne serait-ce que quelques instants de plus devant lui, elle l’aurait massacré. Il l’avait traitée comme une grisette qu’on culbutait dans la première taverne venue et dont on se gaussait entre hommes. Il lui avait montré de la plus cruelle des façons qu’elle aurait beau se battre mieux qu’un homme, il ne la verrait jamais plus que comme une femme tout juste bonne à partager sa couche.
Des larmes de colère et d’humiliation montaient dans ses yeux. Le mépris d’Athos était comme un fer brûlant dans son cœur… Elle l’avait toujours respecté plus que n’importe lequel de ses camarades. Dès son entrée chez les mousquetaires, elle avait admiré cet homme solide, calme et réfléchi à l’intelligence supérieure. S’il y avait un homme dont elle avait souhaité le respect, c’était Athos… Ils avaient été si proches. Personne ne savait lire en elle comme Athos. Elle avait parfois l’impression que leurs esprits avaient été faits pour se rencontrer tant leur osmose était parfaite. La plupart du temps, ils n’avaient même pas besoin de mots pour se comprendre. Elle était la seule à sentir les parts d’ombre qui agitaient parfois cet homme en apparence inébranlable… cette tristesse enfouie qui faisait écho à la sienne.
Tout cela n’existait plus. En une journée, six années de complicité avaient été balayées et il ne restait plus entre eux que de la colère et du mépris… Ils se connaissaient par cœur et ils pourraient se blesser plus profondément que personne ne pourrait le faire.
  1 - Une proposition du capitaine
2 - La maîtresse d'Athos
3 - Corps de femme
4 - Imbroglio
5 - Blessures
6 - Lettres volées
7 - Confidences
8 - Aux portes d’Orléans
9 - Un fantôme du passé
10 - En Gascogne
11 - Contre-attaque
12 - A la lueur des flammes
13 - Retour à Paris
14 - Déplaisante mission
15 - Une raison de vivre
16 - Humiliations
17 - Préparation
18 - Bal à Toulouse
19 - L’histoire d’Olivier
20 - Un mur tombe
21 - La marquise de Coulanges
22 - Courtisans dans la forêt de Mauressac
23 - Partie de chasse
24 - Poison
25 - Sécession
26 - Au parlement de Toulouse
27 - Captifs
28 - Déroute
29 - Fuite
30 - Aveuglement
31 - Retour à la maison
32 - A bride abattue
33 - Sur la tombe