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La jeunesse d'Aramis

3 - Le bal de Monsieur de Plessus

Renée soupirait d’ennui. Elle ne pouvait certes pas danser mais elle n’avait pu se soustraire au bal de Monsieur de Plessus. Sa robe aux longues manches bouffantes, ses longs cheveux que sa soubrette avait fait boucler pour l’occasion et un peu de maquillage dissimulaient parfaitement les quelques égratignures qui lui restaient de sa chute… Elle était prête à être offerte à Plessus, songea-t-elle avec colère.
Avec son costume clinquant qui transpirait l’opulence et le pouvoir, il se rapprocha d’elle et s’assit à ses côtés.
- Je suis fort aise de vous voir ma chère Renée. J’avais craint que vous ne veniez pas.
- En effet, répondit-elle avec une politesse forcée. J’ai fait tantôt une vilaine chute de cheval et je ne pourrais malheureusement pas honorer vos musiciens.
- Aucune importance, seule votre présence importe à mes yeux. Votre immobilité forcée me permet de passer la soirée sans être importunés par des damoiseaux réservant vos danses.
- Mais vous-même ne pourrez abandonner toutes les demoiselles qui n’attendent que de danser à votre bras. Songez à Mademoiselle de Pompignac qui a dû mettre cette superbe robe opale rien que pour vous plaire et qui se meut comme un ange sur la piste.
- Vous êtes trop indulgente, ma chère. Toutes ces demoiselles sont insignifiantes à côté de vous. Qui remarquerait une opale à côté d’un diamant ?
Il fit couler son regard sur le corps de la jeune fille qui s’en sentit glacée.
- Car vous êtes un diamant, Renée. Un diamant brut qui n’attend que les mains expertes de l’orfèvre pour être taillé et placé dans un écrin digne de sa beauté.
Renée tremblait de colère. Ses yeux flamboyaient et son visage s’était empourpré… Elle ne pouvait plus contenir son mépris à l’égard de cet homme qui la jaugeait comme une marchandise dont il pouvait faire l’acquisition.
- Je ne suis pas un caillou, monsieur, lâcha-t-elle en serrant les dents. Je n’ai nul besoin d’être façonnée et enfermée dans une jolie boîte… Et même si c’était le cas, je ne vous choisirai pas comme orfèvre.
- Vous êtes encore plus belle quand vous êtes en colère, répondit Plessus en riant. Votre résistance ne vous rend que plus précieuse.
Elle allait lui cracher son mépris quand elle se figea. S’agenouillant devant eux, un jeune homme venait les saluer… Elle reconnut au premier coup d’œil le visage qui n’avait pas quitté ses pensées depuis des jours.
- Cette soirée est un enchantement, Monsieur de Plessus.
- François de Montsorot, quelle surprise ! répondit Plessus, n’appréciant visiblement pas l’invité inopportun. Je commençais à me demander si vous nous feriez l’honneur d’une visite depuis le temps que je vous invite sans succès.
- Pardonnez mon manque de civilité à votre égard. J’ai été moi-même bien puni de m’être si longtemps privé de ces soirées et des beautés qui s’y rendent, ajouta-t-il en attrapant délicatement la main de Renée pour la porter à ses lèvres.
Elle le regardait, les yeux brillants, sentant monter en elle un doux frisson au contact des lèvres douces sur sa main.
- Je suis heureux de voir que vous allez bien, mademoiselle. Je ne pensais pas que ce serait possible mais vous êtes encore plus belle que dans mes souvenirs… Comment va votre jambe ?
- Mieux, merci, même s’il me faut renoncer à la danse pour quelques temps.
- Vous faut-il renoncer également à l’équitation ?
- Il le faudrait, mais j’ai peine à m’y résoudre, répondit-elle en rougissant, gênée par le souvenir de sa fuite. Je voudrais d’ailleurs m’excuser pour mon comportement… Je n’ai guère fait preuve de savoir-vivre.
- Oubliez ça, vous m’avez permis de voir une amazone chevaucher dans une forêt française… Cela n’a pas de prix !
Elle rougissait de plus en plus mais ses yeux pétillaient de plaisir.
Plessus ne pouvait s’y tromper, lui qui n’avait jamais vu que colère et ennui dans le regard de la jeune fille. Il bouillonnait intérieurement. Le couple l’ignorait totalement, conversant comme si le reste du monde n’existait pas et l’humiliant aux yeux de tous ses convives… Cette petite péronelle le ridiculisait ! Pour se donner une contenance, il alla inviter la jeune Pompignac en se jurant qu’il ferait payer cet affront.

- Je crois que nous avons attiré le courroux de notre hôte, dit Renée avec un petit rire.
- Je crains qu’il ne m’envoie plus ses invitations, répondit François en prenant un air faussement soucieux. C’est fâcheux ! Où pourrais-je vous rencontrer ? Serais-je contraint à explorer les bois à votre recherche ou me direz-vous votre nom ?
- Renée… Renée d’Herblay. Et j’aurais grand plaisir à vous revoir ailleurs que chez Monsieur de Plessus, Monsieur de Montsorot, ajouta-t-elle en baissant les yeux.
- Rien ne saurait me faire plus plaisir… Mais appelez-moi, François…
La soirée s’écoula comme un rêve. Perdus dans le regard de l’autre, ils se laissèrent porter par le flot des mots échangés oubliant le reste du monde.
Dans ses yeux, Renée ne se sentait plus maladroite et gauche. Elle n’avait plus besoin de retenir ses paroles pour cacher les pensées qui animaient son esprit. Elle n’avait plus besoin de se forcer à être niaise. Elle pouvait être elle-même…
François se disait qu’il n’avait vécu que pour rencontrer cette merveilleuse jeune fille. Elle avait tout d’une jeune fille de bonne famille mais corsetée sous une éducation soignée, il devinait une âme passionnée et rebelle… une âme qui ne se laisserait jamais enchaîner… Il semblait que son cœur se réchauffait auprès de la flamme ardente qui animait le regard de Renée. Sa franchise, sa vitalité, son rire cristallin étaient des sources d’eau pure au milieu de ce monde surfait.
Quand sa mère vint la chercher pour partir, ils savaient tous deux qu’ils étaient éperdument amoureux l’un de l’autre et cela depuis que leurs regards s’étaient croisés dans la forêt.

  1 - Une mère soucieuse
2 - Brève rencontre
3 - Le bal de Monsieur de Plessus
4 - Bonheur
5 - Confiance et union
6 - Une nuit d’orage
7 - Mutisme
8 - Le retour de Monsieur de Plessus
9 - Engagement honni
10 - Décision
11 - Départ
12 - Le capitaine de Tréville
13 - Les mousquetaires