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La jeunesse d'Aramis

13 - Les mousquetaires

Le lendemain, elle arriva à la compagnie dès la première heure et commença à astiquer les écuries. Les mousquetaires arrivaient les uns après les autres, harnachant leurs montures sans même la remarquer, ce qui lui convenait très bien. C’était un travail fatiguant et pénible mais Renée adorait s’occuper des chevaux et elle ne devait pas ménager ses efforts si elle voulait se montrer digne de la confiance du capitaine.
Elle était là depuis plusieurs heures quand un mousquetaire entra en trombe dans l’écurie. Elle eut tout juste le temps de se jeter à terre pour ne pas se prendre le cheval de plein fouet. Sans s’excuser, le mousquetaire descendit de cheval et l’invectiva :
- Faites un peu attention ! Vous avez failli heurter mon cheval !
- C’est plutôt à moi de vous dire ça ! Avez-vous le diable à vos trousses pour pénétrer aussi vivement dans une écurie ? répliqua-t-elle en se relevant.
Le gaillard la couvrit d’un regard sombre.
- Vous êtes le nouvel apprenti. Vous êtes bien impertinent !
Appuyant encore son regard sur son visage fin, un sourire froid se dessina sur ses lèvres pincées.
- Vous êtes charmant, dites-moi, vous seriez plus à votre place comme page de sa majesté que comme mousquetaire. Je ne savais pas qu’on acceptait les petites filles dans la compagnie, maintenant !
Renée sentait son visage s’empourprer. Il y avait plusieurs mousquetaires dans l’écurie et tous s’étaient tournés vers elle. Elle avait l’impression d’être mise à nue devant ces hommes… Il fallait qu’elle réagisse vite, sinon elle serait rapidement découverte.
- Monsieur, vous me devez réparation ! dit-elle en sortant son épée.
- Je n’ai pas de temps à perdre à jouer avec des enfants !
- Je ne me laisserai pas insulter ! répliqua-t-elle en tendant son épée vers lui.
- Très bien, si ça vous amuse ! Je vais vous donner une solide correction, petit impudent !
- Attendez-vous à en recevoir une !

Appuyé au muret de la cour, un jeune mousquetaire observait avec attention le combat qui venait de commencer.
- Que se passe-t-il, Athos ? lui demanda un colosse qui venait arriver.
- C’est ce butor de Gaspard qui a insulté le nouvel apprenti.
- Il va réduire en miette ce garçon, ne devrions-nous pas intervenir ?
- Non, Porthos. Je crois qu’il ne faut pas se fier à son visage de jeune fille et son allure enfantine, regardez les yeux de ce garçon ! Ce n’est pas le regard d’un homme qui s’en laisse conter ! Gaspard a eu tort de le provoquer bêtement… ce qui ne m’étonne guère de cet imbécile.
Ce jeune garçon était d’une souplesse et d’une agilité peu commune. Le mousquetaire qui devait faire deux fois son poids l’attaquait de front et ce garçon évitait chacune des attaques avec aisance. Très fin, presque frêle, il se mouvait avec une grâce féline, glissant entre les doigts de son adversaire plus lent et plus lourd...
- Pardieu, vous aviez raison ! s’écria Porthos. Ce garçon est très doué !
Il ne devait pas être d’une grande force physique, mais il compensait cela par sa souplesse, son adresse et sa rapidité. On dirait vraiment un félin, songeait Athos sans le quitter des yeux.
- Je me demande qui de vous deux l’emporterait si vous aviez à vous affronter, dit Athos à son ami. Entre la force brute et cette aisance si légère, je ne sais qui aurait le dessus.
- Ne raillez pas, Athos ! Ce gamin est doué certes mais je suis bien plus fort que lui !
Gaspard essayait de l’acculer contre un arbre. Exaspéré par la résistance du jeune éphèbe, il balançait son épée avec fureur.
- Vous semblez avoir quelques difficultés à combattre une petite fille, le raillait le jeune garçon blond.
- Vous allez ravaler vos paroles !
Gaspard s’énervait et commettait de plus en plus d’erreurs. Le jeune apprenti s’accrocha prestement une grosse branche de l’arbre sous lequel il se trouvait et se faisant voltiger donna un grand coup de pied dans le ventre de Gaspard qui tomba en arrière. Sautant vivement au-dessus de celui-ci, il mit son épée sous son menton.
- Je crois que c’est vous qui allez ravaler vos paroles.
- Aramis ! Aramis ! ARAMIS !

Renée se retourna… Elle avait encore du mal à s’habituer à son nouveau nom.
Le capitaine de Tréville venait de pénétrer dans la cour et avançait vers elle, l’air furieux.
- Vous n’êtes pas là depuis une journée et déjà vous vous battez avec un de vos camarades ! Mais à quoi pensez-vous donc ? Ne vous ai-je pas dit que vous n’étiez pas dans un repaire de spadassins ? Vous n’êtes qu’une tête brûlée ! Je n’ai que faire de cela dans ma compagnie !
Tête basse, Renée enfonçait ses ongles dans sa paume pour ne pas pleurer. Elle était renvoyée. Tréville avait saisi la première occasion pour se débarrasser d’elle… C’était tellement injuste !
- Attendez, capitaine ! Ce jeune garçon n’est pas fautif.
Relevant la tête, elle vit qu’un jeune mousquetaire s’était avancé vers eux. Ses yeux d’un bleu sombre exprimaient une intelligence acérée.
- Il n’a fait que répondre aux provocations de Gaspard, continua-t-il. Aucun gentilhomme n’aurait pu accepter de telles insultes sans répondre à l’outrage.
- Sans compter, capitaine, que nous avons pu observer l’adresse de ce jeune garçon et qu’il est sans nul doute une recrue précieuse, ajouta un mousquetaire gigantesque au visage généreux.
- Est-ce vrai, Aramis ? demanda Tréville. N’avez-vous fait que répondre à l’outrage ?
- Oui, capitaine, murmura-t-elle rougissante.
- Que ne le disiez-vous ? s’exclama Tréville en allant d’un pas vif réprimander Gaspard.

- Je vous remercie, messieurs, dit Renée en regardant les deux mousquetaires avec reconnaissance.
- Nous n’avons fait que dire la vérité, répondit le mousquetaire aux yeux bleus. Il eut été injuste que vous soyez puni pour avoir défendu votre honneur.
- Il n’empêche. Sans votre intervention, je n’aurais pas passé une journée au sein de la compagnie… Je m’appelle Aramis, ajouta-t-elle.
- Athos, répondit-il en lui serrant la main.
- Et moi Porthos, dit le colosse. Si nous allions déjeuner afin de faire plus ample connaissance ?
- Vous allez voir, Aramis, Porthos est d’une force colossale qui n’a d’égale que sa gourmandise.
- Cela se voit, dit-elle en regardant le ventre saillant du mousquetaire.
Elle rougit aussitôt de sa franchise, mais Porthos ne s’en formalisait pas et Athos éclatait de rire.

Quelques heures plus tard, en buvant un verre de vin en compagnie de ses nouveaux amis, Renée, ou plutôt Aramis, songea qu’elle ne s’était plus sentie aussi bien depuis la mort de François. Avec ces deux mousquetaires, malgré son travestissement, elle avait l’impression d’être elle-même. Elle pouvait parler librement sans qu’ils ne s’en offusquent. C’était tellement plus simple d’être un homme ! Plus besoin de minauderie, de fausse timidité et d’hypocrisie. Sa franchise et sa force n’étaient plus des défauts. Peut-être que sa vie d’homme serait plus joyeuse que ne l’avait été sa vie de femme.
Renée avait rêvé d’une vie d’aventures et d’amour. Elle avait connu un amour intense et douloureux, Aramis connaîtrait une vie d’aventures… et sur cette pensée, Renée devint Aramis.

  1 - Une mère soucieuse
2 - Brève rencontre
3 - Le bal de Monsieur de Plessus
4 - Bonheur
5 - Confiance et union
6 - Une nuit d’orage
7 - Mutisme
8 - Le retour de Monsieur de Plessus
9 - Engagement honni
10 - Décision
11 - Départ
12 - Le capitaine de Tréville
13 - Les mousquetaires