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La jeunesse d'Aramis

12 - Le capitaine de Tréville

Renée tremblait un peu quand on l’introduisit dans le bureau du Capitaine de Tréville.
- Que voulez-vous, jeune homme ? demanda-t-il.
Il l’avait à peine regardée mais elle fut soulagée de constater qu’on ne la reconnaissait pas dès le premier coup d’œil.
- Monsieur de Tréville, vous ne me reconnaissez pas.
L’intonation de la voix surprit le capitaine qui posa un regard appuyé sur le jeune éphèbe qui se tenait très droit devant lui. Il blêmit en reconnaissant les traits délicats et les yeux tristes de la fiancée de son ami… Que faisait-elle donc ici ? Et quelle était cette tenue ?
- Mademoiselle d’Herblay… Pourquoi cet accoutrement ?
- Je viens vous demander de m’accorder l’honneur de rejoindre la compagnie des mousquetaires, monsieur.
Le capitaine manqua d’éclater de rire mais le regard qu’elle posait sur lui l’arrêta instantanément. Il n’avait pas oublié la douleur infinie qui voilait ses yeux clairs, mais là, il y lisait quelque chose de plus… Etait-ce de la colère ? Etait-ce de la haine ? Quel était ce feu qui brûlait au fond de son regard ?
Calmement, elle lui fit le récit de ces derniers mois.
- Monsieur, je me dois de rendre justice à François, conclut-elle. Je ne peux me résoudre à laisser à d’autres le soin de venger mon amour et je ne pourrais trouver le repos tant que l’homme qui a assassiné François sera de ce monde.
- Ecoutez, mon enfant, je ne peux pas imaginer les souffrances que vous avez traversées, mais il vous faut être un peu raisonnable. Je n'ai pas pour habitude d'engager des jeunes femmes dans ma compagnie. Il n'y a ici que des soldats aguerris et François ne me pardonnerait pas de vous avoir fait tuer.
- Ne me jugez pas sur mon sexe, monsieur ! répondit-elle les yeux flamboyants de fureur. Je sais me battre bien mieux que beaucoup d'hommes !
Elle sortit l'épée que Tréville reconnut comme étant celle de François et le mit en garde.
- Allons, mademoiselle... Je ne vais pas m'amuser à ça...
- Si vous ne me trouvez digne de faire partie de votre compagnie, que ce soit sur ma valeur ! Mais laissez-moi la même chance que si j'étais un homme !
Elle ne renoncerait pas facilement, songeait Tréville... Il faudrait donc lui ôter cette idée grotesque de son esprit.
Il se leva et se mit en garde. Les épées se croisèrent dans un bruit sourd... Il pensait la désarmer facilement mais elle lui opposait une résistance farouche, parant ses attaques avec souplesse. Elle ne se vantait pas... Peu de ses hommes avaient une telle adresse. Aussi inconcevable qu'il l'aurait cru, elle réussit d'une feinte à le faire tomber au sol et à le tenir en garde. Cette jolie blonde de seize ans avait réussi à le vaincre !
Elle lui tendit la main pour l'aider à se relever.
- Puis-je me considérer comme des vôtres, monsieur ?
Une main puissante s'abattit sur sa joue, la jetant au sol. Le capitaine de Tréville la fixait avec colère.
- Pour quoi prenez-vous la compagnie des mousquetaires ? Un repaire de spadassins ? Croyez-vous qu'il suffit d'être habile et plein de haine pour y entrer ? Croyez-vous qu'on vient ici pour assouvir je ne sais quelle vengeance personnelle ? La compagnie des mousquetaires a été créée pour servir et protéger le roi et n'y entrent que ceux qui veulent avant tout défendre les intérêts du royaume et non accomplir une vengeance, aussi juste soit-elle !
- Et pour qui me prenez-vous, monsieur ? répondit-elle en le fixant avec hauteur. Croyez-vous que je n'ai aucun honneur ? Croyez-vous que je ne rentrerai au service du roi que pour d'égoïstes raisons ? Croyez-vous que si je rejoins les mousquetaires, je ne serais pas prête à donner ma vie pour mon pays ? Pour qui me prenez-vous ?
Non, ce n'était pas de la haine qui brûlait dans son regard. C'était une détermination farouche et indomptable... Elle ne renoncerait pas. Elle battrait la campagne seule à la recherche des bandits qui avaient tué son amour s’il le fallait.
Que puis-je faire, François ? se demandait Tréville. Si je la refuse comme mousquetaire, Dieu seul sait ce qu'elle serait capable de faire pour te venger...
- Vous êtes une noble jeune fille, mademoiselle, répondit le capitaine d'un ton radouci. Vous êtes habituée à des lits douillets et des maisons confortables. Vous n'avez aucune idée de la dureté d'une vie de soldat.
- Beaucoup de nobles jeunes hommes n'ont aucune idée de la vie de soldat avant de devenir de vaillants mousquetaires. Pourquoi me jugez-vous différemment parce que je suis une femme ? N'insultez ni mon courage, ni ma détermination, monsieur ! Je serai prête à tout endurer si vous acceptez de me faire confiance.
Elle avait réponse à tout... Je comprends ce qui t'a attiré chez elle, François.
- Excusez-moi de vous avoir frappée... Mais je ne veux pas que vous preniez de décision irréfléchie. Il faut bien que vous songiez à toutes les conséquences que peuvent impliquer ce choix. Il n'y a pas de femme chez les mousquetaires ! Etes-vous capable de devenir un homme ? Etes-vous prête à renoncer à votre vie de femme, à votre âge ?
Il vit alors ses grands yeux bleus de remplir de larmes.
- A quoi dois-je donc renoncer ? Je n'ai plus aucun bonheur à attendre de ma vie de femme. C'était François mon bonheur et on me l'a arraché ! Je n'ai plus rien à espérer en tant que femme à part d'être vendue à un homme que je hais ! Est-ce à cela que je dois renoncer ? Si c'est le cas, c'est sans remords que je deviendrai un homme.
Quelle femme incroyable ! Elle aurait dû être brisée, dévastée et pourtant, elle se tenait droite face à sa vie en ruine. Où puisait-elle la force de faire ainsi face seule à l'adversité ? Quelle énergie animait ses yeux douloureux ?
- Que les choses soient bien claires, continua le capitaine en contenant son émotion sous un masque de froideur. Vous n’aurez droit à aucun traitement de faveur ! Vous serez traitée comme n’importe quel soldat. Je ne me montrerai pas plus indulgent à votre égard parce que vous êtes une femme. Vous commencerez tout en bas de l’échelle, comme n’importe quel apprenti. Vous devrez accomplir les travaux les plus ingrats avant de pouvoir revêtir la casaque des mousquetaires. Si vous ne vous montrez pas à la hauteur de la tâche, je vous renverrai sans discussion.
- Je ne demande rien de plus, monsieur, répondit-elle en s’agenouillant respectueusement à ses pieds.
Le capitaine de Tréville la regarda un court instant, hésitant à poursuivre d’un ton bien plus doux :
- François m'avait écrit qu'il allait épouser une femme à nulle autre pareille, il m'avait écrit que sa fiancée était flamboyante... J'ai cru que c'était les mots d'un homme aveuglé par l'amour. Je réalise qu'il était en deçà de la réalité... Je serai honoré de vous avoir sous mes ordres.
J'espère que tu ne m'en veux pas, François. Tu n'espérais sans doute pas une vie de soldat pour ta fiancée. Je ne peux pas te promettre d’arriver à la protéger, mais je doute qu’elle en ait vraiment besoin… Peut-être que le service du roi l’aidera à panser sa peine.
- Je vous remercie de la confiance que vous m’accordez, répondit-elle avec reconnaissance. Croyez que je n’aurais de cesse d’en être digne.
- Enfin, il est clair que votre identité doit demeurer secrète.
- Bien entendu, monsieur. A ce jour, Renée d’Herblay n’existe plus. Elle repose auprès de son fiancé dans un cimetière de Normandie.
- Il faudrait vous trouver un nom, que diriez-vous d’Aramis ?
A quoi pensait-il donc ? Pourquoi avoir prononcé ce nom ? Pourquoi avoir choisi pour cette jeune femme le nom qu’il aurait souhaité donner à son fils, si le ciel lui en avait accordé un ? Tréville comprit alors qu’elle l’avait totalement conquis. Elle n’était pas simplement digne de rentrer au service du roi, elle avait toutes les qualités qu’il aurait rêvé pour son enfant : le courage, l’honneur et une détermination en acier trempé.
- Cela me convient très bien, monsieur.
- A présent, appelez-moi capitaine, Aramis ! Et ne me décevez pas !
- Vous n’aurez pas affaire à une ingrate, capitaine.
- Apprenez à parler de vous au masculin, monsieur Aramis ! Je veux vous voir demain matin dès sept heures dans les écuries. Vous prendrez soin des montures de vos compagnons.
- Bien, capitaine, répondit-elle en inclinant respectueusement la tête avant de quitter le bureau, très droite.
  1 - Une mère soucieuse
2 - Brève rencontre
3 - Le bal de Monsieur de Plessus
4 - Bonheur
5 - Confiance et union
6 - Une nuit d’orage
7 - Mutisme
8 - Le retour de Monsieur de Plessus
9 - Engagement honni
10 - Décision
11 - Départ
12 - Le capitaine de Tréville
13 - Les mousquetaires