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La jeunesse d'Aramis

10 - Décision

Elle retourna aux écuries en pleurant. Heureusement que Plessus en était parti, elle n’aurait pu supporter la honte de lui montrer son visage défait. Elle sauta sur Azalée et galopa à bride abattue.
Elle ne voyait même plus la route tant ses yeux étaient embrumés de larmes. Elle tremblait de tous ses membres. Il lui semblait qu’un gouffre s’était ouvert sous ses pieds… C’était un cauchemar… Elle ne pouvait pas épouser cet homme odieux… Elle ne serait jamais à lui ! Elle repensait avec dégoût au contact de sa main sur son visage. Non, il ne la toucherait pas ! Jamais !... François… Elle repensait à la douceur de sa bouche, à la chaleur de son corps, à la délicatesse de ses mains. Son corps s’enflammait encore au souvenir de leur unique étreinte. Ses caresses étaient comme imprimées sur sa peau… Elle aurait tant voulu se donner à lui tous les jours de sa vie… La vie était d’une cruauté. Cela ne suffisait pas qu’elle perde François, il fallait en plus qu’elle soit salie par un homme qu’elle détestait, jusqu’à la fin de ses jours !... François, pourquoi ne suis-je pas morte avec toi ?
Elle arrivait au cimetière. Elle mit pied à terre et courut se jeter en pleurant sur la tombe de son amour.
Pourquoi n’était-elle qu’une femme ? Pourquoi devait-elle se soumettre à la volonté de ses parents ? Si elle avait été un garçon, tant de possibilités se seraient offertes à elle. Ses parents ne l’auraient pas trainée à la foire aux maris dès ses quinze ans. Elle aurait pu partir d’ici. Elle aurait pu devenir un soldat et servir la France. Mais non ! Elle était une femme. Qu’importaient ses rêves et ses sentiments, son destin était de devenir une épouse docile ! Il fallait à tout prix qu’elle se marie, quitte à lui faire épouser n’importe qui. Pourquoi ne pouvait-elle pas s’appartenir ? Son corps serait-il vendu comme une marchandise sans qu’elle ne puisse rien y faire ? Non, elle ne pouvait accepter une telle vie !
Pardonne-moi, François… Nous ne nous retrouverons même pas au paradis, mais je ne serai jamais la femme d’un autre homme.
Elle avait toujours un poignard caché dans un des pans de sa jupe quand elle allait chevaucher seule dans la forêt. Elle le sortit et regarda un instant la lame effilée. Dans quelques instants, la lame pénétrerait dans ses poignets. Peut-être serait-elle précipitée dans les flammes de l’enfer, mais même l’enfer valait mieux que cette mort lente qu’on lui promettait. François l’avait quittée, ses parents l’avaient trahie, plus rien ne la retenait dans ce monde. Au moins, elle ne serait pas avilie par Plessus. L’enfer était préférable à une vie aussi dégradante.
La lame effleura son poignet, faisant couler un mince filet de sang… Renée se figea à cette vision. Elle revoyait le corps ensanglanté de François, son visage sans vie qu’elle avait tenté en vain de ranimer. François reposait sous cette dalle de pierre et son meurtrier était bien vivant. Pourrait-elle mourir en sachant que celui qui avait assassiné l’amour de sa vie courait toujours ? Pourrait-elle laisser à d’autres le soin de châtier ce criminel ?
Ses souvenirs des jours heureux lui revenaient. Elle voyait son amant qui la serrait contre lui avec ce regard qui la faisait vibrer. Elle l’entendait lui murmurer des mots doux à l’oreille… « Je vous aime, mon amazone… » Pour lui, elle était une amazone. Souvent, il la comparait aux grandes guerrières de la littérature : Bradamante, Marphise… Une amazone ne se serait jamais suicidée sur la tombe de son aimé. Une amazone serait plutôt morte l’épée à la main en accomplissant sa vengeance.
Les paroles que son père lui avait lancées dans la salle d’armes lui revenaient en mémoire. Serait-elle lâche ? Allait-elle mourir sans combattre ?
Une idée folle était en train de germer dans son esprit. Si son destin de femme n’était que d’être une épouse soumise et malheureuse, elle allait cesser d’être une femme. Il n’y avait plus de femme guerrière, alors elle allait être un homme. Elle se battait mieux que la plupart des hommes, ne pourrait-elle pas passer pour l’un d’eux ?
Non, c’était absurde… et pourtant…
Elle se releva les yeux brillants et remonta sur sa jument.

Elle arriva devant le manoir où vivait François alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient à l’horizon. Elle frémit en passant le seuil de cet endroit où elle n’était pas revenue depuis cette nuit terrible. Le manoir était à l’abandon depuis la mort de François. On avait également retrouvé le cadavre d’une vieille gouvernante. En inspectant les lieux, Tréville avait découvert qu’une troisième personne avait dû y habiter, un jeune garçon qui était demeuré introuvable. Peut-être avait-il été enlevé par les brigands… Renée songea que cela devait être la personne que François voulait lui présenter.
A l’étage, elle trouva un placard rempli de vêtements d’un jeune gentilhomme. Il fallait qu’elle essaie. Les vêtements étaient un peu larges pour sa taille fine, mais cela devrait aller. Elle se déshabilla, puis elle enserra ses seins sous un pan de drap qu’elle venait de déchirer. Ayant revêtu une large chemise et un pantalon, elle examina son profil dans un miroir. Elle semblait certes un peu frêle pour un homme mais ses formes étaient totalement masquées.
Elle se vêtit comme un homme et attacha sa superbe chevelure. Avec un feutre, un pourpoint et des bottes, pourrait-elle espérer faire illusion ? s’interrogeait-elle. Ses traits n’étaient-ils pas trop délicats pour passer pour masculins ?
Cette idée était totalement folle. Dieu sait ce qu’il lui arriverait si elle était découverte. Pourtant, plus elle contemplait son reflet, plus elle se sentait sûre d’elle. Les hommes étaient si convaincus de leur supériorité, vu son adresse au combat, jamais ils n’imagineraient qu’elle n’était qu’une femme. Même si sa féminité sautait aux yeux, il suffisait qu’elle défasse un ou deux beaux messieurs pour qu’ils la voient comme un garçon.
Peut-être avait-elle perdu la raison, mais elle était décidée. Une détermination implacable l’animait.
Tu verras, François, je me montrerai digne de ton amour. Je punirai l’assassin qui nous a séparés et tu n’auras pas à rougir de moi.

  1 - Une mère soucieuse
2 - Brève rencontre
3 - Le bal de Monsieur de Plessus
4 - Bonheur
5 - Confiance et union
6 - Une nuit d’orage
7 - Mutisme
8 - Le retour de Monsieur de Plessus
9 - Engagement honni
10 - Décision
11 - Départ
12 - Le capitaine de Tréville
13 - Les mousquetaires