Le lendemain s'avéra tout aussi calme, le froid commençait à se faire vif et ils croisaient fort peu de gens sur leur route. Le Capitaine en
était satisfait, préférant éviter tout ennui. Ils firent halte à la mi-journée, afin de permettre aux chevaux de se reposer
un peu. Constance rejoignit les mousquetaires car la Reine avait demandé qu'on la laissât au calme pour dormir un peu. Seul le Roi était
resté à ses côtés, en silence, veillant sur son sommeil. D'Artagnan l'accueillit avec un large sourire, et s'enquit :
- Sa Majesté est-elle souffrante ? Peut-être a-t-elle attrapé un refroidissement avec ce climat !
- Non, D'Artagnan. Il ne fait pas froid dans le carrosse. Simplement, Sa Majesté est très fatiguée par ce voyage. Sans compter qu'elle est
sujette à de violents vertiges et nausées depuis qu'elle porte leur enfant. Je trouve en fait bien imprudent de la faire voyager ainsi.
Le Capitaine approuva d'un signe de tête et ajouta :
- Ma foi, on devine à peine son état. Mais il est vrai qu'elle est plus pâle qu'à l'accoutumée.
- C'est vrai, Monsieur de Tréville. Je crois qu'elle aurait préféré rester au palais, mais le Roi tenait à honorer sa sœur
de cette visite, et comme partir seul le contrariait, elle n'a pas hésité à faire l'effort de le suivre dans ce voyage. D'Artagnan, je suis
tremblante de froid, est-il possible d'allumer un feu en attendant de reprendre la route ?
- Bien entendu, Constance.
D'Artagnan se mit aussitôt en devoir de rassembler de quoi allumer un brasier avec l'aide de Porthos. Aramis profita de ce que Athos et Monsieur de
Tréville discutaient ensemble pour se rapprocher discrètement de Constance et lui demander davantage de précisions sur l'état actuel
de la Reine, et de quels maux elle souffrait. En effet, la conversation avait attiré son attention :
- La Reine est-elle donc à ce point malade ?
- Oui, Aramis. Elle se plaint souvent de mal au cœur persistant, surtout à son réveil ; elle a fort peu d'appétit d'autant que bien
souvent ses repas la rendent malade, surtout lorsque ceux-ci sont un peu riches, comme cela arrive souvent à la cour. Elle est très fatiguée,
même si elle met un point d'honneur à se conduire dignement, quelles que soient les circonstances.
- Vraiment ? Je n'aurais pas pensé…
- Elle ne s'en plaindra jamais ouvertement, mais je suis bien placée pour le savoir, je ne la quitte presque jamais, et suis son principal soutien dans ses
moments de faiblesse.
- Je comprends… Effectivement, il doit lui être fort pénible de voyager ainsi…
Aramis n'insista pas davantage, d'autant que D'Artagnan était revenu auprès d'elles. Les réponses de Constance l'avaient plongée dans une
profonde perplexité, car il lui semblait que l'état de malaise de plus en plus intense dans lequel elle évoluait depuis déjà
plusieurs jours était fort semblable à celui de la Reine Anne que Constance venait de lui décrire. Elle n'aurait pas su l'exprimer, mais elle
sentait qu'il y avait quelque chose de différent en elle, elle se sentait mal : elle n'avait plus guère d'appétit, se réveillait avec
des nausées et passait de la sensation de chaud à froid sans raison particulière. Le cœur battant, elle se prit brusquement à
imaginer que, peut-être, elle aussi attendait un enfant et que tout ce qu'elle ressentait actuellement en était les signes annonciateurs. Puis elle
secoua la tête en se raisonnant : cela était tout à fait impossible compte tenu de ce qu'Athos lui avait révélé.
Quand ils reprirent la route, quelques heures plus tard, elle songea un instant à lui parler de ses doutes, mais en se remémorant leur conversation
à ce sujet, et la douleur dans son regard qui lui avait montré combien ce propos pouvait le blesser, elle ne put s'y résoudre. D'autant que son
compagnon rayonnait depuis leur discussion de la veille, elle ne voulait pas lui gâcher son plaisir par des impressions, qui ne seraient probablement jamais
confirmées. Elle se contenta donc de l'écouter babiller joyeusement jusqu'à ce qu'ils arrivent en vue de Calais, d'où ils embarqueraient
dès le lendemain. La mer apparut scintillante, couleur rouge sang sous le soleil couchant, comme si les dernières lueurs du jour voulaient embraser la
masse liquide. Le spectacle était splendide pour qui descendait la colline en direction de la ville qui était déjà noyée dans une
demi-pénombre. Ils pressèrent leurs montures pour atteindre la ville avant la nuit noire, car l'abord des chemins deviendrait plus dangereux dans
l'obscurité, en dépit des flambeaux qu'ils avaient pris soin d'allumer. Sans doute, le passage du Roi avait-il été annoncé car,
à l'approche de la procession, une masse de gens se groupèrent sur les bords des rues, acclamant le cortège royal à son arrivée.
Les acclamations redoublèrent lorsque le couple descendit de la voiture, saluant d'un geste la foule avant de rentrer à l'abri de l'hôtel afin
de prendre un repos bien mérité, escortés de leurs gardes.