Le chemin sur lequel ils avaient été envoyés était grossier et traversait la partie la plus abrupte du massif. À un moment donné, ils se trouvèrent contraints de longer un précipice profond... Par prudence, Athos ordonna de descendre des montures pour suivre le sentier qui se réduisait bien trop pour rester en selle. Porthos passa en tête, prétextant que si le passage supportait son poids, les autres n'auraient pas de mal à passer à sa suite Brusquement, un éboulis dégringola la pente au-dessus d'eux, le cheval d'Athos se cabra, son sabot arrière dérapa sur une pierre et il tomba dans le gouffre. Athos en fut déstabilisé avant d'avoir pu lâcher les rênes, et n'ayant aucune prise pour se retenir, bascula en arrière, vers le vide. Une main se referma sur son bras in extremis. Il releva la tête, Aramis s'était jetée sur le sol et agrippait son bras de toutes ses forces. Porthos tentait de leur venir en aide, mais son cheval l'en empêchait, et D'Artagnan était pareillement bloqué par le cheval d'Aramis. Athos parvint à attraper à son tour le bras qui le retenait, ses pieds battaient rageusement à la recherche d'un appui sur la paroi qui n'existait pas. À chaque secousse qu'il donnait, Aramis glissait un peu plus vers le bord. Elle n'avait pas à elle seule la force de le tirer de là, comme l'aurait fait Porthos. Après un moment de lutte, Athos secoua la tête.
- C'est inutile, si nous continuons ainsi, nous finirons tous les deux au fond de ce gouffre.
- N'envisagez même pas l'éventualité que je puisse vous lâcher Athos, dussions nous finir au fond tous les deux ! répliqua Aramis en assurant davantage sa prise sur le bras de son compagnon.
Aucun d'eux n'avait remarqué que Porthos avait avancé jusqu'à un élargissement du chemin, et, débarrassé de sa monture, revenait au pas de charge sur eux. Il empoigna Athos, et le ramena sur le chemin, en moins de temps qu'il n'aurait fallu pour le dire. Aramis se releva aussitôt, une expression de franche gratitude sur le visage.
- Merci Porthos, sans vous, nous ne serions pas sortis vivants de là !
- Pas de quoi Aramis ! Un pour tous et tous pour un ! Et puis je n'aurais sorti personne du ravin si vous n'aviez pas réussi à le rattraper !
Une fois parvenus en lieu plus sûr, ils purent remonter en selle, Aramis prenant Athos en croupe. Celui-ci lui murmura à l'oreille :
- Je ne sais comment vous remercier Aramis, je vous dois la vie.
Aramis sentit son visage s'embraser.
- Il n'y a pas de remerciement à offrir Athos, vous en auriez fait autant pour moi…
- Vous auriez pu tomber avec moi dans ce gouffre.
- Ça ou vous voir tomber, vos yeux dans les miens, le choix eut été vite fait.
Elle se tut, craignant d'en avoir déjà trop dit. La proximité d'Athos l'embarrassait, elle sentait son cœur battre bien plus fort qu'à l'accoutumée, si bien qu'Athos lui-même aurait pu l'entendre. Fort heureusement, celui-ci était occupé à écouter D'Artagnan :
- Je ne comprends pas comment cet éboulement a pu avoir lieu tout seul. Je suis bien prêt à parier qu'il y a eu quelqu'un pour l'aider. Tout comme quelqu'un a donné l'ordre de nous interdire la traversée d'Avallon pour nous envoyer sur ce chemin périlleux. J'ai l'intuition que quelqu'un nous suit pas à pas, et s'ingénie à semer notre route d'embûches.
Athos réfléchit un instant :
- C'est possible D'Artagnan, mais rien ne permet encore de l'affirmer. Néanmoins il nous faudra être très prudent à l'avenir, par précaution.

La fin de la journée les trouva fort harassés, et ils n'avaient pas pu avancer autant qu'ils l'espéraient en direction de la Savoie. Ils firent halte dans la ville de Beaune où Athos pu trouver un nouveau cheval sans difficulté. Un solide repas dans une taverne et une bonne nuit de sommeil leur permis de reprendre la route le lendemain de fort bonne humeur, reléguant les évènements de la veille dans un recoin de leur esprit. La zone un peu montagneuse qu'ils venaient de traverser céda la place à une magnifique vallée, baignée par une rivière qui serpentait tranquillement entre les champs. Ils décidèrent de longer le cours d'eau, remarquant au passage l'astucieuse façon des gens du pays d'irriguer leurs champs, par le biais de canaux reliés à des barrages, élevés à même la berge.