Le Capitaine fit appeler Athos et Aramis dès le lendemain de l'exécution. Les deux mousquetaires entrèrent dans le bureau, visiblement encore fatigués de leurs aventures savoyardes. Athos se tenait droit, en dépit de sa blessure que la bataille avait mise à mal. Aramis était très pâle et restait silencieuse, comme si le moindre mot lui coûtait. Dès que la porte fut refermée, le Capitaine les considéra l'un après l'autre.
- Je vous ai demandé de venir, afin d'éclaircir un certain point. Il m'est venu aux oreilles par Monsieur de Jussac avant son exécution - sans doute-il en tirer une mesure de clémence - une affaire qui m'intrigue et m'ennuie à vrai dire.
Aucun des deux mousquetaires ne répondit. Ils ne voyaient pas encore où leur capitaine souhaitait en arriver : quel rapport pouvait-il exister entre Jussac et eux ? Monsieur de Tréville reprit :
- Athos, auriez-vous appris quelque chose d'incongru au sujet d'Aramis pendant cette mission ?
- Oui Monsieur, en effet.
Athos soutint le regard de son supérieur sans ciller.
- Voilà qui est fâcheux… Je souhaitais que cette information reste la plus secrète possible… Qui d'autre est au courant ?
Ce fut Aramis qui répondit à la question, d'une voix faible :
- D'Artagnan, Athos et Porthos le savent… ils l'ont découvert en me soignant. D'Artagnan sur Belle-Ile-en-Mer, Athos et Porthos pendant le voyage vers Chambéry. Jean aussi le sait, pour m'avoir observé pendant mon bain, le garnement… Enfin Manson le savait, mais il est mort.
Le Capitaine fronça les sourcils.
- Vous comprendrez que je souhaite que nulle autre personne ne l'apprenne. Il vaudrait mieux pour vous comme pour moi que cela n'arrive pas aux oreilles du Roi.
Après une pause, il ajouta :
- Ce qui m'ennuie c'est que Jussac a affirmé vous avoir vu vous embrasser dans la forêt, lors de sa tentative de fuite. Il a même prétendu que Athos avait commencé à vous déshabiller Aramis, et qu'il semblait exister une étrange intimité entre vous… Bien sûr je n'accorde pas grand crédit à cet homme, mais cette révélation m'inquiète… J'ai donc besoin de savoir : Avez-vous réellement une relation qui dépasse celle de deux mousquetaires ?
Aramis avait rougit et sentait monter un léger vertige, sensation qui ne la quittait guère depuis quelques jours. Athos croisa les bras avant de répondre, sans se laisser impressionner :
- C'est l'exacte vérité, Monsieur.
- Comprendrez-vous que je ne puis tolérer une telle chose dans les rangs de mes mousquetaires ?
- Probablement, je comprends, Capitaine, mais je souhaite que vous puissiez comprendre de votre côté que j'aime sincèrement Aramis, et qu'en aucun cas je ne renoncerai à elle.
Aramis s'était tournée vers lui, stupéfaite de la réponse d'Athos… Jamais il ne lui avait avoué son amour, aussi ne s'attendait-elle pas à ce qu'il s'oppose ainsi au Capitaine. Elle balbutia :
- Tu veux dire que tu m'aimes… vraiment ???
Il se tourna vers elle avec un sourire.
- Bien entendu, est-il question d'autre chose ? As-tu donc pensé que je m'en tiendrais à abuser de toi quelque temps ? Je t'aime Aramis, et je veux te garder auprès de moi, pour toujours.
Ses jambes ne la portaient plus, elle se blottit dans ses bras, fiévreuse et soulagée. Elle entendit à peine le Capitaine ajouter :
- Si je ne peux rien faire pour vous dissuader d'une telle folie, je dois alors vous prévenir que si cette histoire devait un jour s'ébruiter, je ne serais au courant de rien, et je ne pourrais rien pour vous… Je ne peux prétendre avoir consenti à vous savoir amants.
Athos hocha la tête.
- Je comprends, Capitaine. Nous serons prudents à l'avenir, je vous en fais la promesse. Il n'est pas dans notre intention de ternir la réputation de la Compagnie. Mais puisque je ne peux me résoudre à renoncer à l'aimer, c'est désormais à moi de veiller sur elle, quoiqu'il puisse arriver.
Le Capitaine approuva d'un mouvement de tête, mettant ainsi fin à cette entrevue. Les deux jeunes gens sortirent du bureau, prenant soin de se tenir à distance respectable. Une bourrasque violente tourbillonna derrière les carreaux, prédisant l'arrivée de l'hiver… et peut-être d'autres aventures pour nos quatre mousquetaires.