Quelques jours plus tard, lors d'une visite, Athos reprocha à D'Artagnan de lui imposer la présence d'Aramis. Las des remarques de son compagnon, D'Artagnan se fâcha.
- Je suis occupé à préparer la défense du pays, et vous, vous ne pensez qu'à vous plaindre d'Aramis. Est-ce qu'il vous arrive de vous souvenir que vous lui devez plusieurs fois la vie depuis les années que vous combattez ensemble… Il y a à peine quelques jours, c'est elle qui vous a retenu dans le ravin. Et c'est encore elle qui vous a soigné pendant des jours, elle n'a pas cessé de vous veiller, jour et nuit, sans se reposer, alors qu'elle est à peine remise de sa propre blessure. Vous êtes insupportable et égoïste.
Athos ne répondit pas. Jamais D'Artagnan ne lui avait parlé ainsi, et le pire était qu'il savait que son ami disait la vérité.
- Oui, Aramis est une femme, mais c'est toujours Aramis, le même compagnon aux côtés duquel vous avez combattu les gardes du Cardinal ou encore Milady et le Masque de Fer. La seule chose qui ait changé, c'est votre attitude…
- Comment garder une attitude égale quand on découvre un tel secret et de tels mensonges ? Pouvez-vous réellement regarder Aramis de la même façon en sachant que ce n'est pas un homme ?
- Bien entendu ! Parce que son courage lui est toujours égal… Je dirais même qu'en tant que femme son courage a d'autant plus de valeur. Homme ou femme, quelle importance ? Aramis reste un mousquetaire d'une grande dextérité à l'épée et d'une bravoure hors du commun ! Et cela, vous ne pouvez le nier… Pas après tous les combats que vous avez menés de front ensemble. Maintenant, je pense personnellement que votre acharnement cache autre chose en réalité… Vous utilisez votre soi-disant amitié trahie pour masquer un tout autre sentiment, n'est-ce pas ?
- Je ne vois pas ce que vous voulez insinuer.
- Qu'est-ce qui vous gêne le plus ? Qu'Aramis soit une femme en réalité ou bien qu'en tant que compagnon de combat, elle vous semble inaccessible ?
Athos avait rougi légèrement ce qui ne lui ressemblait guère.
- Vous perdez la raison, mon cher D'Artagnan.
- Allons Athos, ne me prenez pas pour un idiot ou un aveugle. Même si mon cœur est à Constance, je suis capable de remarquer qu'Aramis est une femme infiniment belle, lorsque l'on passe outre ses vêtements et son attitude d'homme. Ne me dites pas que vous ne l'avez pas remarqué, le jour où vous l'avez soignée.
Athos ne répondit pas, D'Artagnan n'insista pas davantage. Il s'apprêtait à partir, la main sur la poignée de la porte, quand Athos prononça quelques paroles d'un air pensif, regardant un point très loin devant lui :
- La première chose que j'ai ressentie, c'était de la surprise bien sûr… Puis de la colère car je me suis senti trahi, sincèrement. J'aurais aimé qu'elle nous confie son secret, et nous aurions été son meilleur atout pour la protéger et l'aider à garder ce secret. Au lieu de cela, elle ne nous a pas fait confiance comme si nous n'étions rien à ses yeux. Cela m'a blessé et rendu furieux…
D'Artagnan ne répondait pas, il contemplait Athos qui poursuivait son monologue, comme si cela lui permettait de se libérer de tout ce qu'il gardait enfoui en lui depuis des jours.
- Mais son histoire est si pénible et si injuste, qui y resterait insensible ? Surtout quand on voit le courage qu'elle a opposé a tout ce qu'elle a pu endurer… Je ne crois pas connaître un autre être capable de surmonter tant de malheurs.
Il se retourna vers D'Artagnan, une lueur étrange dans les yeux, comme s'il était bouleversé.
- Et puis je l'ai vue comme aucun d'entre vous, je l'ai tenue entre mes mains, j'ai détaillé chaque parcelle de son corps en la soignant… et vous avez raison : elle est… tellement belle… Je pense à elle sans cesse depuis, elle obsède mon esprit au point que je crois en devenir fou… Rester en colère est mon seul moyen de lutter contre cette faiblesse qu'elle a éveillée en moi. Je n'ai pas envie de souffrir une nouvelle fois, comprenez-vous ?
D'Artagnan ne comprit pas totalement ce qu'il avait voulu dire, et il se contenta de secouer la tête.
- Vous faites fausse route Athos. Vous devriez ouvrir les yeux !… Je dois partir à présent.
Il sortit de la pièce, laissant son ami à ses réflexions. Il devait trouver Aramis avant de repartir, c'était elle qu'il était venu voir à l'origine.